À deux pas de la gare de Louvain, derrière le centre provincial, se trouve un terrain vague. Sa situation est intéressante et Louvain est l’une des villes de Flandre où le logement est le plus cher. Toutefois, cette parcelle étroite et tout en longueur est difficile à lotir et convient mieux à un projet avec jardin partagé qu’à des habitations avec jardins privatifs. Ce n’est donc pas un promoteur traditionnel qui y a conçu neuf unités d’habitation avec un jardin, un abri à vélos et un atelier partagés ainsi qu’un espace collectif. Ce projet est le premier du Community Land Trust Leuven. La coordinatrice Hanne Verstreken explique comment ce projet met l’habitat abordable à la portée de personnes exerçant un métier essentiel mais disposant de moyens limités.
Qu’est-ce qu’un community land trust ?
« En deux mots, je dirais que nous rendons les logements abordables dans la durée, et ce sur un terrain appartenant à la collectivité. Pour cela, nous dissocions la propriété du terrain et celle des bâtiments. Le terrain est et reste la propriété d’une fondation, et seules les « briques » peuvent être achetées et vendues par les habitants. Et c’est ce qui fait la différence au niveau du prix ».

Concrètement, comment cela se passe-t-il ?
« Nous nous procurons des terrains privés grâce à un financement de la ville, de grandes entreprises, de petits ou grands philanthropes ou d’autres grands propriétaires terriens. Ces acteurs injectent de l’argent dans une fondation d’utilité publique qui achète des parcelles. Tout ce qu’on met dans une fondation de ce genre y restera pour toujours. Dans le pire scénario, la fondation pourrait être reprise par une autre entité, mais contrairement à une asbl, par exemple, elle ne peut pas tomber en faillite. Outre la fondation, on trouve également dans notre CLT une asbl qui, au-delà d’assurer le bon déroulement des travaux, se charge d’impliquer et d’accompagner les futurs habitants ».
Et quel est le statut des bâtiments situés sur ce terrain ?
« Dans notre cas, ce sont des habitations que nous proposons à la vente via une formule d’emphytéose. Il existe également d’autres formules : on peut constituer une coopérative qui loue les habitations à des tiers ou dont les habitants peuvent eux-mêmes devenir coopérateurs et coopératrices, devenant ainsi leurs propres locataires. Actuellement, certaines habitations sont déjà louées à un tarif avantageux par l’Autonoom Gemeentebedrijf Stadsontwikkeling Leuven. C’est pourquoi le CLT Leuven a choisi de se concentrer sur les maisons occupées par leur propriétaire ».
« Nous ciblons les key workers, les personnes qui exercent les métiers essentiels qui font tourner la société mais quittent la ville parce que leur salaire est trop bas. C’est pourquoi nous plafonnons les revenus des acheteurs. Il s’agit de personnes actives dans les soins de santé, l’enseignement, le transport en train ou bus... Toutes ces personnes dont la moindre grève impacte le grand public. Comme il s’agit d’un premier achat, nous les accompagnons dans la demande d’un crédit hypothécaire, et notre community builder les aide à se mettre d’accord sur les modalités d’utilisation et d’entretien des parties communes. L’aspect réseau attire assez bien de personnes isolées ou de familles monoparentales dans le groupe des intéressés ».
Que se passe-t-il lorsqu’après un certain temps, un ou une propriétaire souhaite vendre son bien ?
« La formule de revente prévoit un prix plafond pour que les prix des habitations n’augmentent pas plus vite que les salaires. En tant que propriétaire, on reçoit un prix correct lors de la vente.
On habite dans sa tirelire et on récupère sa mise, contrairement à ce qui se passe lorsqu’on est locataire. En revanche, on ne réalise pas le même genre de plus-value que sur le marché immobilier traditionnel. Les habitations restent abordables pour les futures générations – et c’est notre raison d’être : offrir de l’habitat abordable.
Cela s’applique également aux héritiers lors du décès d’un propriétaire, puisqu’ils peuvent venir habiter dans le bien, mais pas le mettre en location. Et en cas de vente, le prix est également plafonné et est inférieur aux prix standards du marché privé ».
Qu’est-ce qui différencie le CLT d’autres formules proposant de l’habitat abordable ?
« Dans le passé, la construction de logements sociaux était subsidiée. Lorsqu’au bout de 20 ans, le propriétaire décidait de vendre son bien, il empochait la subvention. Quant à l’habitation, elle disparaissait de l’offre de logements abordables pour atterrir dans le marché privé, à des prix correspondants. Chez nous, les moyens sont affectés au terrain et demeurent donc dans la fondation.
La plupart des formules sont soit sociales, soit privées ; mais à côté de cela, un autre modèle est nécessaire et possible. De plus, l’habitation reste bien entretenue étant donné que les habitants y ont un intérêt, à savoir la plus-value qu’ils réaliseront en cas de vente du bien. Si l’habitation n’est pas bien entretenue, nous la remettons en état et les frais de rénovation sont retenus sur le prix de vente ».
Le nom anglais laisse supposer que ce modèle n’a pas vu le jour chez nous. D’où vient-il ?
« Le Community Land Trust tel qu’on le connaît aujourd’hui a été créé à la fin des années 1980 à Berlington, dans le Vermont. Mais avant cela, il existait déjà des achats collectifs de terrains par des groupes de personnes qui utilisaient ce subterfuge pour contourner l’interdiction de possession de terres par les anciens esclaves. Ces collectifs ont évolué vers les coopératives agricoles. Le sénateur américain Bernie Sanders a transposé ce modèle à l’habitat, sans l’aspect agricole. Entre-temps, ce CLT compte environ 3.100 unités.
Au Royaume-Uni, on trouve aussi des CLT à la campagne, où ils s’impliquent notamment dans la préservation de la nature. Et à Porto Rico, c’est un moyen de lutter contre la gentrification. Sur le continent européen, le premier CLT a été lancé à Bruxelles en 2012 ; il compte aujourd’hui une centaine d’unités. Il faudrait beaucoup plus de ces unités pour qu’il y ait un véritable impact sur les prix de l’immobilier. Nous sommes pionniers, en tout cas en Europe, mais avec un modèle durable et social qui a fait ses preuves depuis 50 ans – aux États-Unis, il a même résisté au krach boursier de 2008 ».
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