La semaine dernière, nous avons enregistré la journée la plus chaude de mémoire récente. Pourtant, nous devenons insensibles à ce genre d’information. Un nouveau record de température a été battu dans le monde chacun des 13 derniers mois. Et il y a de fortes chances que la limite de 1,5°C fixée dans l’Accord de Paris sera franchie début 2030. Nous pourrions croire que le réchauffement de la planète ferait sentir à tous l’urgence d’accélérer la transition énergétique. Cependant, le stress thermique semble plutôt engendrer de la passivité. Malgré l’intensification de la crise, nous ne voulons tout simplement pas nous résoudre à mobiliser les capitaux nécessaires pour réaliser la transition énergétique. Qu’attendons-nous pour accélérer le financement de la lutte contre le changement climatique ?
Que faudrait-il ?
Le financement est souvent considéré comme un frein important à l’accélération de la transition énergétique. Le financement de la lutte contre le changement climatique englobe un large éventail d’instruments financiers destinés à relever les défis liés au climat, dont les subventions et emprunts d’institutions publiques telles que les gouvernements et les fonds multinationaux, mais aussi les obligations vertes, les taxes carbone et les investissements privés. Tous ces moyens financiers visent à limiter les conséquences du changement climatique ou à augmenter la résilience et la capacité d’adaptation à la nouvelle réalité que nous connaissons.
Pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, les fonds actuellement mis à disposition doivent au moins être triplés. Malgré des efforts considérables, les moyens financiers restent nettement insuffisants. Ce problème, souvent appelé « déficit de financement », dénote un décalage entre le nombre de projets ayant besoin de financement et les capitaux disponibles pour les financer. La Climate Policy Initiative estime que pour parvenir à des émissions nettes nulles d’ici 2030, il faudrait chaque année consacrer 6,2 billions USD à la lutte contre le changement climatique, et même jusqu’à 7,3 billions USD d’ici 2050, soit un total cumulé de près de 200 billions USD.
Dès lors, devons-nous simplement affecter ce montant supplémentaire à la transition énergétique ? La réalité est plus complexe. Les secteurs public et financier continuent en effet à octroyer beaucoup d’argent à l’énergie fossile. D’après le Fonds monétaire international, les subventions mondiales pour les combustibles fossiles s’élevaient à 7 billions de dollars en 2022, soit 7,1% du PIB mondial. Le tout n’est donc pas de trouver de nouveaux moyens, mais surtout de redistribuer les fonds existants. Nous devons dissocier les capitaux des actifs « épaves » et les réallouer en faveur de la transition énergétique.
Une raison explique toutefois pourquoi des capitaux sont toujours utilisés à mauvais escient : les combustibles fossiles offrent un rendement plus élevé que les sources d’énergie renouvelables. Ce qui témoigne d’une « asymétrie du financement » : il est facile de profiter de l’exploitation de la nature, car les ressources et les facteurs externes sont trop bon marché, ce qui entraîne des émissions de carbone. La démarche inverse – investir dans la restauration de la nature – constitue un défi nettement plus important, car elle livre souvent un rendement financier limité, bien qu’elle crée une valeur publique considérable. La réorientation des capitaux nécessite une révolution de la manière de penser : il s’agit de comprendre que les gains privés ne peuvent être réalisés aux dépens du bien-être public.
Financement innovant de la lutte contre le changement climatique
Cette asymétrie du financement a donné lieu à l’élaboration de mécanismes financiers innovants destinés à financer l’atténuation du changement climatique. Par nature, les marchés réagissent à la demande en créant de l’offre, et inversement. La bonne nouvelle est que les choses progressent : le marché se développe sur toute la ligne. Toutefois, les volumes sont encore loin du niveau nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux.
Tout d’abord, notons une augmentation du glissement vers le « financement mixte », qui prévoit que des moyens publics couvrent les pertes initiales et les risques, attirant ainsi des capitaux privés. En 2023, le financement mixte a atteint son plus haut point en cinq ans : le financement mixte lié au climat a connu une hausse de 107%, passant de 5,6 milliards USD en 2022 à 11,6 milliards USD en 2023. Or, même si ces progrès sont encourageants, les efforts restent limités si l’on tient plus largement compte de tous les besoins pour gérer la crise climatique.
Deuxièmement, le marché des obligations vertes (des emprunts axés sur le financement de projets durables, notamment des initiatives en faveur du climat) a connu un premier trimestre vigoureux en 2024, alors que 2023 avait déjà été une bonne année. Les émissions totales sont en passe d’atteindre 1 trillion USD en 2024. Reste toutefois l’inconvénient que les gros émetteurs, principalement les pouvoirs publics, ont dans le même temps augmenté leurs dépenses destinées à subventionner les combustibles fossiles.
En troisième lieu, les marchés du carbone offrent encore une approche plus innovante. Ils doivent en partie leur existence à l’introduction par les instances réglementaires de plafonds pour les prix du carbone, le principal étant le système d’échange de quotas d’émissions (ETS) de l’UE. En 2023, quelque 12,5 milliards de tonnes de quotas carbone ont été négociées à travers le monde, et la valeur du marché s’élevait à 949 milliards USD, en hausse de 2% par rapport à 2022. L’ETS représentait 87% du total mondial. Selon les prévisions, ce marché devrait encore se développer à mesure que les pouvoirs publics introduiront des règles plus strictes en matière d’émissions.
À l’heure actuelle, la priorité est donnée aux marchés volontaires du carbone, où les efforts en faveur de la restauration de la nature génèrent des revenus grâce à la vente de crédits carbone. Ces marchés sont toutefois entourés de controverses, comme le problème du respect des normes, du greenwashing et de la rentabilité des projets. Bien que prometteurs en tant que solution innovante, les marchés volontaires du carbone n’en sont encore qu’à leurs balbutiements, le volume mondial n’étant estimé qu’à 3 milliards USD cette année. Vu l’ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés, ce montant représente juste une goutte d’eau dans l’océan.
Gardons la tête froide
Le financement de la lutte contre le changement climatique a de plus en plus la cote et nombre de solutions innovantes retiennent l’attention. Mais cette évolution favorable n’est pas suffisante pour refroidir la planète. Le financement supplémentaire nécessaire à l’atténuation du changement climatique et à l’adaptation au changement climatique doit non seulement venir d’innovations dans le domaine financier, mais aussi découler d’une politique forte. Laquelle devrait prévoir une taxe carbone mondiale parallèlement à l’abolition des subventions octroyées aux combustibles fossiles, des normes impératives pour les marchés émergents telles que les crédits carbone et un engagement contraignant des gouvernements à éliminer progressivement les combustibles fossiles. De telles mesures permettraient d’instaurer des règles du jeu équitables et d’aider le financement traditionnel à soutenir la transition énergétique sans reposer exclusivement sur l’innovation financière.
Enfin, il faut garder la tête froide : le financement de la transition énergétique tirerait davantage parti de la réduction du financement des combustibles fossiles que des innovations financières.
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