Sur le petit territoire qu'est la Belgique, il y avait exactement 5 741 588 logements au 1er janvier 2023, soit une augmentation de pas moins de 30 % depuis 1995 (Source : Statbel). Ce chiffre semble toutefois plus qu'insuffisant pour répondre aux besoins actuels et futurs en matière de logement. Le site web du bouwmeester flamand, par exemple, indique que rien qu'en Flandre, 330 000 nouveaux logements seront nécessaires d'ici 2030. Un chiffre qui donne le vertige, mais qui nécessite d’être nuancé, selon Dimitri Minten : « Cela ne signifie en aucun cas que 330 000 nouvelles maisons doivent être construites. De nombreuses autres solutions sont possibles, comme la rénovation et la subdivision de maisons existantes. » 

Cette forte demande de logements supplémentaires est principalement liée aux tendances démographiques telles que la réduction de la taille des familles, explique Tom Coppens. « Par rapport au passé, notre pays compte moins de familles traditionnelles avec enfants et plus de célibataires, de parents isolés et de personnes âgées. D'ici 2030, la moitié des familles seront composées d'une ou deux personnes. » Dimitri Minten souligne que la réduction de la taille des familles n'entraîne pas nécessairement une diminution des besoins spatiaux par ménage : « Pensons, par exemple, aux enfants de parents divorcés, qui ont en fait besoin de deux chambres à coucher, qui ne sont utilisées que la moitié du temps. Il y a trente ans, de nombreux enfants partageaient encore une chambre à coucher. » 

Notre comportement en matière de logement est toujours basé sur des modèles dépassés. La comparaison avec d'autres pays européens est d'autant plus parlante. « Les statistiques de Statbel montrent notamment qu'en Belgique, nous avons beaucoup moins d'appartements et beaucoup plus de maisons unifamiliales. Cela signifie que notre consommation de terrain par personne et notre coût énergétique par logement sont également beaucoup plus élevés. Un héritage historique dont il est très difficile de se défaire », souligne Marc De Hertogh. 

La propriété est-elle judicieuse ?  

Selon Tom Coppens, la réponse apportée par la Belgique à la pénurie de logements de l'époque, il y a près de deux cents ans, est toujours d’application aujourd'hui. « On a alors choisi d'encourager au maximum la propriété individuelle, notamment par le biais de toutes sortes de subventions, d'avantages fiscaux et de prêts bon marché. Cela a conduit à une mentalité profondément ancrée, le Belge préférant acheter plutôt que louer parce qu'il considère toujours sa maison comme une partie de sa pension et un héritage pour les générations futures. » 

Dimitri Minten agite un tabou : « Ce modèle de propriété peut encore nous jouer des tours s'il empêche les transformations nécessaires. Essayez par exemple d'installer des panneaux solaires sur le toit d'un immeuble d'habitation à plusieurs propriétaires. Les intérêts et les possibilités financières des uns et des autres sont trop éloignés pour pouvoir prendre les mesures menant à un mode de vie durable. En d'autres termes, il s'agit de bombes à retardement, car de tels bâtiments vieillissent rapidement et perdent donc de leur valeur. Le dogme de la propriété freine la transition vers un mode de vie durable et provoque une inadéquation entre l'offre et la demande. » 

Si l'on souhaite abandonner l'idéal de la propriété et mieux utiliser le potentiel global de logements, il faut bien sûr qu'il y ait une alternative. À commencer par une offre locative de qualité. Et c'est là que le bât blesse, selon Erik Grietens : « La politique du logement est encore entièrement axée sur l'accession à la propriété, alors que le marché locatif est largement négligé, le manque criant de logements sociaux ajoutant à la pression. Les personnes qui n'ont pas les moyens d'acheter leur propre logement sont et resteront donc les perdants. Une partie de la solution réside dans une politique visant à développer un secteur locatif décent. Et je ne parle pas tant des propriétaires privés que des coopératives d’habitation professionnelles. Chez nous, c'est encore à l'état embryonnaire, mais dans des pays comme l'Allemagne et la Suisse, ce modèle coopératif est déjà bien établi. » 

La coopérative d’habitation comme solution ?   

Dans les coopératives d’habitation, la propriété traditionnelle devient une sorte de « droit au logement » (voir encadré ci-dessus). Mais pour en tirer profit, des économies d'échelle sont nécessaires. Comme le secteur privé ne peut y parvenir seul, les pouvoirs publics doivent donner un coup de main, souligne Tom Coppens. « Par exemple, en donnant des terrains en bail emphytéotique. Dans des pays comme la Suisse, c'est déjà pratique courante, mais ici, les pouvoirs publics ne contrôlent pratiquement jamais le foncier. Au lieu de tirer les ficelles, de nombreux pouvoirs publics ont vendu beaucoup de terres ces dernières années. » Le référendum qui a récemment eu lieu à Gand est très significatif à cet égard, explique Erik Grietens. « Les habitants ont été invités à dire si la ville devait être autorisée à vendre des terrains publics à des promoteurs privés ou à les conserver dans son propre portefeuille afin d'y construire des logements abordables. C'est un signal d'espoir. » 

« Une autre possibilité est de voir si nous pouvons transformer la propriété actuelle en un modèle coopératif », explique Dimitri Minten. « L'un des problèmes est que de nombreux locataires traditionnels ont l'impression de ‘jeter leur argent par les fenêtres’. C'est pourquoi des modèles intermédiaires intelligents – comme une coopérative dont les revenus locatifs mensuels permettent d'acquérir des parts, qui peuvent ensuite être utilisées pour financer, par exemple, les coûts de rénovation nécessaires – sont intéressants. » 

Le modèle coopératif est un concept dans lequel la Banque Triodos voit également un avenir. Ainsi, elle a déjà accordé un crédit à De Wasserij, un projet de Wooncoop à Berchem (pour plus d'informations, cliquez ici). « Il importe de rechercher à nouveau les avantages collectifs, mais en Belgique, où chaque maison est différente et où chaque individu a ses propres souhaits, ce n'est pas une mince affaire. Une nouvelle dynamique est nécessaire, sans quoi les prix continueront d'augmenter et les déséquilibres du marché ne feront que s'accentuer. C'est pourquoi, à la Banque Triodos, nous sommes constamment à la recherche d'investissements tournés vers l'avenir, qui peuvent faire avancer les choses, lentement mais sûrement. Les nouvelles formes de logement durables ont certainement leur place dans notre portefeuille, nous sommes donc très ouverts à cela », insiste Marc De Hertogh. 

Davantage de dynamisme et d'accessibilité financière  

Une autre conséquence de la structure historique de la propriété est que l'évolution de la composition des familles n'entraîne pas toujours une dynamique plus importante sur le marché du logement. « Dans ce contexte, j'aime parler de ‘trajectoire résidentielle’ : on vit différemment à 20 ans qu'à 30, 50, 70 ans et ainsi de suite », explique Dimitri Minten. « Heureusement, la jeune génération semble être beaucoup plus flexible que ses (grands-)parents, qui sont plus susceptibles d'adapter la maison familiale d'origine que de déménager dans un logement adapté à leurs nouveaux besoins. » 

« Le manque de vitalité du marché du logement entraîne à son tour une sous-utilisation importante de l'offre », ajoute Erik Grietens. « Selon la KU Leuven, un logement flamand sur trois est sous-occupé. Prenons le cas d’un couple âgé qui vit encore dans une villa beaucoup trop grande, par habitude. Là aussi, il est urgent d'inverser la tendance. Si l'on divisait toutes ces maisons sous-utilisées en deux entités, par exemple, avec une entrée et un jardin communs, on pourrait en principe déjà couvrir entièrement les besoins supplémentaires en matière de logement. » 

« Une partie de la solution réside en effet dans de nouvelles formes d’habitat, que ce soit ou non à partir d'une situation existante, comme la division d'une grande villa », reconnaît Marc De Hertogh. « Mais cela demande plus de souplesse, tant au niveau réglementaire – comme des procédures de permis plus prévisibles et réactives – qu'au niveau de l'état d'esprit de notre population. Nous manquons d'une vision collective à long terme. Au lieu d'opérer chacun sur sa petite île, nous devons relever ce défi complexe ensemble, avec un horizon de 20 à 30 ans. Les projets que nous finançons à la Banque Triodos peuvent constituer un levier important à cette fin. » 

Trois projets financés par la Banque Triodos : 

L'accessibilité financière est un autre sujet brûlant, selon Tom Coppens. « Les loyers montent en flèche, nous devons faire face à de nombreux coûts de rénovation, l'entretien d'une maison de 200 m² sur un terrain de 1000 m² devient de plus en plus coûteux... C'est un autre défi qu'il faut relever. » Marc De Hertogh pointe du doigt le gouvernement : « Il met en péril l'accessibilité des logements par des procédures de permis longues et imprévisibles. Cela entraîne une sous-production, de sorte que l'offre de logements ne peut répondre à la demande croissante et que les prix augmentent. »