Depuis un certain temps déjà, il est établi que l'industrie de la défense effectue un travail de lobbying afin que l’Union européenne (UE) classe l’armement en tant que production durable dans sa taxonomie sociale, sur base de sa fonction de sécurité et de défense.
Une position stricte, défendue de longue date
Triodos est une banque durable et, à ce titre, a toujours tenu une position ferme contre les armes. Notre mission est de contribuer à créer une société qui promeut la qualité de vie des personnes et qui fait de la dignité humaine une priorité. Financer l’industrie de l’armement est fondamentalement en contradiction avec cette mission : l’utilisation des armes, à quelque moment et en quelque lieu que ce soit, constitue une menace pour l’intégrité physique et psychologique des êtres humains et favorise une culture du conflit et de la violence. Triodos fait partie des institutions financières qui se sont toujours abstenues et continueront à s’abstenir de financer les armes à travers ses activités de banque et d’investissement, qu’il s’agisse d’armes controversées ou d’armes soi-disant « conventionnelles ».
C’est dans nos activités d’investissement en actions et obligations que ce refus a la plus grande portée : nous excluons totalement l’industrie de la défense et aérospatiale de nos investissements et nous passons soigneusement au crible les secteurs à haut risque d’implication directe ou indirecte. Nous appliquons un seuil de tolérance 0% pour les entreprises impliquées dans la production, la distribution ou les services liés à l’armement (cela inclut aussi bien les armes que les composantes faites sur mesure pour celles-ci et essentielles à leur fonctionnement) et des critères stricts quant au financement de l’armement, qui s’appliquent aux institutions financières et aux participations des entreprises.
Notre position va bien au-delà d’un simple refus de l’armement. Les conflits armés sont aux antipodes de ce que signifie créer une société prospère. Notre vision est celle d’un progrès sociétal à long terme, qui suppose de réorienter les ressources allouées à la fomentation d’une culture de domination sur les personnes et la nature, pour investir dans la prévention des conflits et le dialogue social.
Une menace pour le progrès sociétal à long terme
Le prix des actions des fabricants d’armement s’est envolé à la suite de l’annonce faite par plusieurs pays européens d’une augmentation de leurs dépenses en matière de défense1, et plusieurs institutions financières ont indiqué leur souhait de reconsidérer et accroître leur implication dans ce secteur2.
Tandis que la guerre en Ukraine a poussé le thème de la sécurité au cœur des débats, en Europe, le financement de l’industrie et du commerce de l’armement représente un investissement dans la guerre, non seulement aujourd’hui mais dans le futur. Les banques qui commencent à financer la production et la commercialisation des armes continueront à le faire lorsque le conflit sera éteint en Ukraine. Cela revient à normaliser ce type d’activités financières et à détourner les fonds (et l’attention) des problèmes fondamentaux que sont non seulement la prévention des conflits, mais aussi le renforcement des capacités et la reconstruction, ainsi que d’autres parties de l’économie réelle qui peuvent contribuer au progrès de la société.
Il faut aussi souligner que le financement de l’industrie des armes est en réalité très éloigné de ce que signifie réellement investir dans la sécurité et la défense. Le commerce des armes manque structurellement de transparence, est peu contrôlé et hautement sujet à la corruption3. Les gouvernements fournissent rarement la liste complète des pays exclus du commerce d’armement et lorsqu’ils bannissent explicitement la vente d’armes dans des zones de conflit, cet engagement est miné par le manque de transparence. Même lorsque les armes et équipements militaires sont fournis à des fins de défense et de sécurité, il est impossible de savoir à l’avance comment, où et par qui ces armes seront utilisées, d’autant plus que de nombreuses armes « obsolètes » circulent sur le marché de « seconde main ». Finalement, les banques et institutions financières qui dirigent l’argent vers les fabricants d’armes disposent de peu ou pas de moyens de contrôle formel quant à l’utilisation finale. Et de fait, ces institutions s’en préoccupent rarement lorsqu’elles s’engagent dans ce domaine, surtout quand les retours financiers sont intéressants (ce qui a été clairement le cas au cours des dix dernières années 4).
En plus d’une foi aveugle dans la manière dont les armes vendues sont supposées contribuer à la sécurité collective dans différentes régions du monde, et sans même mentionner le lourd tribut humain, matériel et psychique que les conflits armés font peser sur les populations (et sur la nature5), il faut souligner les effets plus larges de l’industrie de l’armement. Une étude6 instructive du Transnational Institute (TNI) a par exemple documenté la manière dont cette industrie contribue, par les ventes d’armes dans des zones de conflit, non seulement à des déplacements de population forcés, mais aussi à l’accroissement de la militarisation aux frontières, afin précisément de contenir lesdites migrations.
La production d’armes n’est en aucun cas durable
Aujourd’hui, la production, la vente et l’utilisation d’armes sont intrinsèquement non durables. La course à l’armement, combinée avec le développement exponentiel de la technologie7, place nos sociétés dans une situation où les conflits armés ne peuvent être gagnés sans une lourde mortalité humaine.
Alors que Triodos part d’une position ferme de refus des armes fondée sur des valeurs, nous croyons aussi, sur base des faits, qu’il n’y a pas de place pour l’armement et les produits liés à l’armement dans la catégorie « durable » de la future taxonomie sociale de l’UE.
L’intention déclarée de la taxonomie de l’UE est d’établir un langage commun et des définitions claires quant à ce qui peut être considéré comme « durable », de manière à créer « un système commun de classification des activités économiques durables »8. Le fait que les armements et équipements militaires ont une importance pour les objectifs de sécurité des gouvernements nationaux ne justifie pas la classification de la production et du commerce de l’armement en tant qu’activité durable. Et ce, pour toutes les raisons déjà mentionnées.
Notre appel
La guerre en Ukraine a rouvert une page de l’histoire européenne que beaucoup d’entre nous pensaient à jamais refermée. Pour de nombreux et nombreuses Européen·nes, les images de mort et de destruction paraissent plus proches qu’elles ne l’ont jamais été au cours de leur vie. Par une connexion tragique de notre esprit, nous pouvons ressentir la douleur qui émane des dévastations à Marioupol et Boucha avec une intensité qui nous empêche de détourner le regard. Et pourtant, nous savons que de tels actes de violence et de mépris pour la vie humaine sont une réalité quotidienne dans d’autres parties du monde. Cette guerre doit cesser. Mais il est peut-être encore plus important de rappeler que toute guerre doit cesser.
Triodos a un devoir fort et profondément enraciné envers ses clients, mais aussi envers la communauté et la société au sens large, d’orienter ses fonds vers des activités qui ont un impact social et environnemental positif. La guerre ne fait pas partie de telles activités et ne devrait jamais être regardée comme un secteur durable.
Merci pour votre commentaire!
Confirmez votre commentaire et cliquant sur le lien que vous avez reçu par e-mail