1. Qu’est-ce que la taxonomie européenne ? 

Rosl Veltmeijer

De manière succincte, la « Taxonomie européennedes activités durables » est un manuel qui explique, secteur par secteur, quelles activités économiques sont vertes ou ne le sont pas. Par exemple, les énergies solaire et éolienne sont cataloguées comme vertes, alors que la bioénergie (énergie générée par la combustion de la biomasse, telle que le bois par exemple) ne l’est que dans des conditions strictes. « Considérez cet outil comme le Larousse de la Durabilité », résume Rosl Veltmeijer. Dès 2022, tant les entreprises (de plus de 500 travailleurs) que les investisseurs devront rendre des comptes sur la base de cette taxonomie. Le degré de conformité d’une entreprise, d’un projet ou d’un portefeuille d’investissement à la taxonomie européenne – ou, en d’autres termes, son niveau exact de durabilité – sera alors clair pour tout le monde. 

 

  1. Pourquoi est-ce important ? 

Les ambitions écologiques de l’UE sont claires. Deux exemples : d’une part, les émissions nettes de CO2 de l’UE devront être nulles en 2050 ; d’autre part, tous les emballages en plastique devront être recyclables dès 2030. C’est précisément parce que les objectifs sont si ambitieux qu’il est essentiel de concentrer les investissements sur les activités économiques qui sont véritablement durables.

 

Ce manuel peut considérablement aider les entreprises à devenir réellement plus durables
Rosl Veltmeijer, gestionnaire de portefeuille chez Triodos IM

Dans ce cadre, la taxonomie est un instrument utile. « Elle permet de cartographier de manière très détaillée et technique ce qui est durable et ce qui ne l’est pas », explique Rosl Veltmeijer. « C’est important pour plusieurs raisons. De nombreuses entreprises souhaitent réellement contribuer à un monde meilleur, mais ne savent pas vraiment comment faire. Le manuel de l’UE peut considérablement les aider à devenir réellement plus durables, en donnant une orientation à leur stratégie de durabilité. La taxonomie décrit, par exemple, les critères auxquels l’agriculture, la sylviculture ou encore la production de ciment doivent répondre pour être écologiques. » 

La taxonomie permet, par ailleurs, de lutter contre l’écoblanchiment. Certaines entreprises qualifient leurs projets de « verts » alors qu’ils ne le sont absolument pas, et certains investisseurs agissent de la même façon en ce qui concerne leurs investissements. La taxonomie mettra un terme à ce genre d’allégations. « Prenez l’exemple de la bioénergie : elle est souvent présentée comme une source d’énergie durable, alors qu’elle soulève pas mal de questions. La taxonomie permet de clarifier les choses. Vous pouvez, bien sûr, être d’accord ou ne pas l’être, mais c’est désormais couché sur papier. »  

 

  1. N’est-il pas difficile de déterminer ce qui est durable et ce qui ne l’est pas ? 

Assurément ! Mais l’UE s’appuie pour ce faire sur six objectifs environnementaux, comme la transition vers l’économie circulaire et l’atténuation climatique (comprenez : la limitation du réchauffement de la planète). Pour chacun de ces six objectifs, l’UE présente les mesures qui contribuent à leur réalisation, ainsi que leur degré de durabilité exact. Chaque objectif comprend également une section « do no significant harm » (« ne pas causer de préjudice important »), qui décrit les actions que les entreprises doivent éviter car elles interfèrent avec la réalisation d’autres objectifs. À titre d’exemple, les parcs éoliens sont considérés comme très durables dans la taxonomie européenne, à condition qu’ils ne causent pas de tort à l’habitat et ne compromettent pas la sécurité des animaux. 

« La taxonomie doit être complète et infaillible car si elle présente des brèches, quelque chose qui n’est pas durable pourrait malgré tout être étiqueté comme durable », estime Rosl Veltmeijer. « Prenons l’exemple de l’énergie solaire : dans la première version de la taxonomie, elle avait obtenu le label « durable », ce qui semble très logique, mais la situation n’est pas si simple qu’il n’y paraît. Les panneaux solaires peuvent, par exemple, contenir des matériaux provenant de zones de conflit. Et que fait-on de ces panneaux en fin de vie ? Si cela n’est pas décrit, tous les panneaux solaires sont qualifiés d’écologiques, même s’ils viennent gonfler la masse des déchets après utilisation. Ce n’est naturellement pas l’objectif poursuivi. »

La taxonomie doit former un ensemble complet et infaillible
Rosl Veltmeijer, gestionnaire de portefeuille chez Triodos IM

 

  1. Quand les entreprises et les investisseurs devront-ils commencer à tenir compte de la taxonomie européenne ? 

Le déploiement de la taxonomie a été quelque peu retardé, principalement en raison du lobbying mené par différents secteurs. Les entreprises et les investisseurs auraient déjà dû faire rapport sur les deux premiers objectifs (atténuation du changement climatique et adaptations au réchauffement climatique) dans le courant de cette année, mais cette obligation a été reportée à l’été 2022. « Tout le monde veut avoir son mot à dire et repousser les limites de ce qui est vert. De nombreuses exploitations agricoles, par exemple, ont demandé un délai supplémentaire pour pouvoir s’adapter », détaille Rosl Veltmeijer. « Ce n’est absolument pas souhaité car du temps, nous n’en avons pas ! C’est maintenant que nous devons nous atteler à la mise en œuvre d’un modèle alimentaire écologiquement et socialement résilient. » 

Fort heureusement, le déploiement de la taxonomie n’est pas complètement bloqué. Les deux premiers objectifs sont complètement finalisés et les versions provisoires des quatre autres objectifs seront publiées cette année. Rosl Veltmeijer se dit satisfaite des propositions actuellement sur la table, mais la vigilance reste de mise : « La Commission européenne a indiqué que la combustion des combustibles fossiles ne pouvait être qualifiée de durable, s’appuyant en cela sur les preuves scientifiques démontrant que la combustion des combustibles fossiles contribue au réchauffement de la planète. La Banque Triodos estime, elle aussi, que les combustibles fossiles ne pourront jamais être qualifiés de durables. La Commission a toutefois décidé qu’elle réexaminerait ultérieurement la question de savoir si la combustion du gaz naturel pourrait malgré tout être qualifiée de durable afin que cette technologie puisse être mise en œuvre dans les pays qui souhaitent renoncer au charbon. » 

Dans ce contexte, de concert avec quelque 200 autres organisations, la Banque Triodos a signé l’appel du WWF de ne pas reconnaître les centrales à gaz comme étant des producteurs d’énergie verte. 

« Il y a également eu un lobbying considérable visant à qualifier la bioénergie de source d’énergie durable – ce que la Commission européenne a validé. La Banque Triodos considère néanmoins que le secteur financier doit se montrer très prudent dans le financement de la combustion de la biomasse : la combustion du bois provoque, en effet, plus d’émissions de CO2 que celle des combustibles fossiles, et il faudra plusieurs décennies avant que les arbres ne repoussent, sans compter l’énorme impact sur la biodiversité. » 

 

  1. Quel est l’impact possible de la taxonomie européenne ? 

À partir de l’année prochaine, les grandes entreprises devront faire rapport sur les deux premiers objectifs. Cette obligation ne s’applique pas aux entreprises plus petites, mais Rosl Veltmeijer s’attend à ce que de nombreuses entreprises le fassent malgré tout. L’UE travaille également à l’élaboration d’un écolabel pour les produits financiers, tels que les obligations à impact. Pour obtenir l’écolabel, ces dernières devront respecter (dans une certaine mesure) les directives de la taxonomie. En d’autres termes, s’inscrire dans cette démarche s’avèrera payant. Rosl Veltmeijer s’attend donc à ce que la taxonomie européenne soit un outil important pour réaliser les ambitions climatiques annoncées : « Elle peut donner une énorme impulsion au volume de capitaux axés sur le développement de solutions au changement climatique. » 

 

La taxonomie peut donner une énorme impulsion au volume de capitaux axés sur le développement de solutions au changement climatique
Rosl Veltmeijer, gestionnaire de portefeuille chez Triodos IM

 

  1. Qu’apporte la taxonomie européenne aux investisseurs des fonds à impact de Triodos ? 

Dans un avenir proche, les investisseurs sauront exactement dans quelle mesure les fonds et les portefeuilles d’investissement satisfont aux critères de la taxonomie européenne. Ils connaîtront donc avec précision leur degré de durabilité. « Nous-mêmes devrons établir des rapports sur la taxonomie afin de montrer dans quelle mesure nos portefeuilles d’investissement y sont conformes », indique Rosl Veltmeijer. Elle précise toutefois que cela ne s’applique pas à l’ensemble des portefeuilles d’investissement de Triodos Investment Management, qui n’investit pas uniquement dans des entreprises ou des gouvernements « verts », mais aussi dans des thèmes spécifiques tels que l’inclusion sociale ou la microfinance. « Une part importante de nos investissements présente un caractère social et échappe, par conséquent, à la taxonomie, qui ne traite pas (encore) de cette dimension. » 

« Je m’attends à ce que ces rapports confirment que nous sommes sur la bonne voie. Nous faisons, en effet, des choix très conscients en matière d’investissement en utilisant des critères de durabilité stricts ». Ainsi, Triodos Investment Management investit déjà dans des organisations telles que la NRW.BANK (la banque du Land allemand de Rhénanie-du-Nord-Westphalie) qui prépare déjà le cadre d’émission de leurs obligations vertes en direction de la taxonomie européenne.