Rendre les coûts écologiques et sociaux plus évidents
Avant d’être à portée de nos fourchettes, les aliments que nous consommons doivent être produits, stockés, transformés, emballés, transportés, préparés et servis. Commencer à réfléchir au contenu de notre assiette ressemble à un très, très gros casse-tête car le système alimentaire actuel s’est construit sur des imbrications multiples par le simple fait de la globalisation. Prenons l’avocat, dont la consommation a explosé dans les pays occidentaux grâce à un marketing redoutable faisant de lui un de ces « super-aliments » aux vertus multiples. À l’autre bout du monde, dans des pays frappés par la sécheresse, sa culture prive d’eau ceux-là même qui le font pousser car il ne faut pas moins de 1.000 litres pour faire grandir… deux avocats et demi ! Ils sont ensuite acheminés vers nos ports dans des containers climatisés, puis mûris à l’éthylène, un dérivé du pétrole. Bilan : ce fruit est une arme de destruction massive de l’environnement.
Vers le zéro déchet
Inspirée peut-être par un patronyme évocateur, mais plus sûrement encore par un parcours d’analyste financière dans l’industrie agroalimentaire, Aubane Verger a accompli cette révolution mentale il y a un an et demi et créé, avec Laura Perahia, une passionnée de cuisine, le premier restaurant zéro déchet, neutre en carbone et écoconçu de la capitale : Le Local. Son idée de départ ? « Faire de ce lieu un outil de sensibilisation et d’éducation. Parce que lorsque les estomacs sont contentés, les neurones fonctionnent mieux », assure-t-elle avec un franc sourire.
Pour la concrétisation de leur projet financé par la Banque Triodos, les deux associées ont tout mis en œuvre pour réduire au maximum leur empreinte écologique, notamment en s’approvisionnant localement pour 80 % de leurs commandes, en réduisant les portions de viande dans l’assiette, en valorisant une partie des déchets organiques qui sont transformés en poudres par déshydratation (dans leurs bocaux en verre, celles-ci forment un joli camaïeu de couleurs, attendant de parfumer un potage ou une sauce), en compostant les autres déchets, etc. « Tous les mois, nous mettons en place quelque chose de nouveau », souligne Aubane Verger. En septembre, Le Local lancera un service traiteur s’inscrivant dans la même philosophie, avec des contenants consignés et des livraisons assurées par une coopérative de cyclistes – l’exact contrepied des grandes plateformes de livraison de repas qui, d’une part, font grimper le volume de déchets plastiques des ménages et, d’autre part, contribuent à l’ubérisation de l’économie. Aubane, quant à elle, abandonnera d’ici quelques semaines la gérance du restaurant pour se concentrer sur l’accompagnement d’acteurs du secteur Horeca attirés, notamment, par une approche zéro déchet.
La Banque Triodos veut encourager cette transition vers un système alimentaire résilient, qui opère en harmonie avec la nature, protège la santé humaine et rémunère correctement l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur. Une perspective qui s’est élargie avec l’importance des enjeux. Au-delà du bio, se jouent des problématiques qui appellent une vision plus large et innovante, et ce tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Elle estime que les institutions financières ont un rôle significatif à jouer dans ce domaine en orientant leurs stratégies de crédits et d’investissement dans la bonne direction, celle de l’alimentation et de l’agriculture durables. Circuits courts, approche zéro-déchet, substituts aux protéines animales : la Banque Triodos finance de tels projets au travers de crédits et de fonds d’investissement traités par sa filiale Triodos Investment Management.
De nouveaux circuits de vente
En moyenne, les aliments parcourent 140 km avant de garnir nos assiettes si bien que l’industrie alimentaire génère à elle seule un tiers du transport routier européen, dont on connaît le lourd impact environnemental. Ce sont ces illogismes que des acteurs de plus en plus nombreux cherchent à combattre. Groupes d’achat solidaires de l’agriculture paysanne (GASAP), groupes d’achat communs (GAC), paniers bio livrés directement aux consommateurs par des producteurs indépendants ou regroupés en coopératives, échoppes à la ferme, enseignes de proximité valorisant le circuit court : les initiatives visant à approvisionner différemment les consommateurs revêtent des formes multiples. « Tout ce secteur se professionnalise petit à petit et il est important qu’il ne reproduise pas les dérives passées en pressant chaque maillon de la chaîne pour augmenter les marges », souligne Alexia de Jonghe, Relationship Manager SME Banking de la Banque Triodos. « C’est dans cette optique que nous finançons des initiatives citoyennes telles que BEES coop qui est le premier supermarché coopératif, participatif et à but non lucratif de Bruxelles. » Le modèle de BEES coop repose sur le triple engagement des coopérateurs, qui sont à la fois propriétaires de l’enseigne (via la souscription de parts), travailleurs (quelques heures de bénévolat par mois) et clients.
Signe qu’un modèle alternatif est tenable du point de vue économique, les pionniers ont progressivement gagné en importance. Lorsque l’enseigne Origin’O a été créée en 2006, elle débarquait pour ainsi dire en terrain vierge. Elle compte actuellement 18 magasins en Flandre et à Bruxelles, offrant un assortiment de premier choix en produits biologiques, végétariens/végétaliens ou adaptés aux personnes présentant des intolérances alimentaires (y compris des repas fraîchement préparés). « La demande pour une alimentation saine continue de croître. Notre approvisionnement privilégie les produits locaux et de saison, et nous nous efforçons de sensibiliser les clients à ces questions », explique Els Lammertyn, directrice opérationnelle d’Origin’O. « Si l’on veut mettre en place des systèmes de création de valeur durables dans l’agroalimentaire, il faut encourager l’information à tous les niveaux de la chaîne », confirme Véronique De Herde, chercheuse à l’Earth and Life Institute-Agronomy de l’UCLouvain.
Des grossistes pour « nourrir » ces nouveaux points de vente
Progressivement, tous les maillons d’une nouvelle chaîne d’approvisionnement se mettent en place. Également financée par la Banque Triodos, la société coopérative Terroirist mutualise l’approvisionnement de magasins et restaurants bruxellois en fruits, légumes, céréales, légumineuses, fruits secs, produits transformés, boissons, ... en direct de petits maraîchers, producteurs et transformateurs qui travaillent dans le respect des valeurs humaines et de la nature. Alexia De Jonghe ajoute : « Le modèle de la SCRL Terroirist est vraiment innovant, car il met en lien des magasins et restaurants bruxellois soucieux de leur impact avec des producteurs locaux et européens engagés. Terroirist s’occupe de la distribution et de la logistique, tout en garantissant des débouchés et une rémunération juste aux producteurs. Ceux-ci ont alors l’occasion de se concentrer sur leur cœur de métier : produire des aliments de qualité ! »
Construire une relation équilibrée entre producteurs, transformateurs et consommateurs
Resserrer les liens entre acteurs de la chaîne alimentaire, par exemple entre les producteurs et les transformateurs de la filière, est une façon de rendre le modèle plus résilient. C’était déjà l’option choisie, au début des années 1980, par trois jeunes gens visionnaires, qui ont voulu créer une coopérative fromagère à Gand (elle a, depuis, déménagé à Sleidinge). Près de quarante ans plus tard, avec 16 collaborateurs et une production annuelle de 120 tonnes de fromage à base de lait cru bio acheté localement, Het Hinkelspel a démontré la pertinence de sa mission : fabriquer d’excellents produits artisanaux dans le cadre d’une relation équilibrée et transparente entre producteurs de lait (elle en consomme 1,2 million de litres par an), transformateur et consommateurs finaux. « Notre modèle coopératif est plus que jamais d’actualité », confirme Alexander Claeys, l’un des fondateurs. « Het Hinkelspel compte aujourd’hui 80 coopérants parmi lesquels nos fournisseurs de lait, une majorité de nos collaborateurs et des consommateurs qui choisissent d’investir dans des initiatives durables comme celle-ci. De plus en plus de gens ne veulent plus de l’agriculture intensive, ils réclament de la durabilité. Nos coopérateurs apprécient la qualité de nos fromages, bien sûr, mais aussi notre mode de fonctionnement transparent et la fidélité à nos principes de départ. »
Créer un effet de levier dès la phase de production
Pour favoriser le développement de systèmes agricole et alimentaire qui soient résilients sur le plan écologique, social et humain, Triodos Investment Management investit, via ses fonds d’investissement Impact, dans des entreprises cotées en Bourse qui sont susceptibles d’accélérer cette transition systémique grâce à un effet de levier. L’une de ces entreprises est Bakkafrost. Fondée en 1968, elle est la principale entreprise de salmoniculture des Îles Féroé (Danemark) et s’attache à démontrer par ses pratiques que l’élevage de saumon peut être durable. Il faut savoir que la production d’un kilo de saumon nécessite 1.400 litres d’eau, contre 15.400 litres pour un kilo de bœuf ou 6.000 litres pour un kilo de porc, et entraîne des émissions de CO2 nettement moindres (2,9 kg par kilo produit, contre 30 kg pour la viande de bœuf). Bakkafrost élève ses saumons en milieu naturel, sans additifs chimiques ni antibiotiques. Elle s’efforce d’améliorer continuellement ses pratiques, étudiant, entre autres, les facteurs de stress des saumons qui grandissent dans ses fermes d’élevage. Elle a également mis en place une politique de traçabilité via la certification ASC (le principal programme de certification et de labellisation des produits de la mer issus d’une aquaculture responsable).
Objectif final : vers un nouveau modèle socio-économique
Pour Benoît Dave, président du Collectif des Coopératives Citoyennes pour le Circuit Court (5C) et coordinateur de la coopérative namuroise Paysans-Artisans, la seule option véritablement durable est de « créer un nouveau modèle socio-économique qui ne soit plus pyramidal mais inclusif ». Comment ? En redonnant fierté et dignité aux paysans, en reconstruisant des filières de production complètes sur un territoire donné, avec une étape de transformation adaptée à la taille des producteurs primaires et un circuit court de distribution. « Le challenge de notre coopérative est de crédibiliser ce nouveau modèle en le professionnalisant suffisamment vite pour que l’attente des producteurs et des consommateurs soit satisfaite. Même si des initiatives comme celle de ce genre ne représentent pas encore grand-chose en volume de ventes, je pense, en effet, que la bataille idéologique est déjà gagnée au niveau du consommateur. Malgré de nouvelles stratégies de communication et de marketing, on voit bien que la grande distribution, par exemple, peine à convaincre », affirme Benoît Dave. « Le changement de mentalité n’est d’ailleurs pas propre à nos sociétés dites développées. Dans le Sud aussi, les populations ne veulent plus d’un modèle agricole d’exportation qui finit par les affamer. Au Mali, le blé importé d’Europe et le riz importé d’Asie coûtent moins cher que le mil produit sur place… Cela dit, même si les choses bougent un peu partout, d’un point de vue macro-économique, je ne sais pas encore qui va gagner la bataille… »
Un engagement individuel, collectif et politique
Tout l’enjeu est de savoir si le consommateur peut, par ses seuls choix, provoquer une « révolution dans l’assiette ». Non, tranche Olivier De Schutter, qui fut rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation entre 2008 et 2014. « La force du consommateur est importante, mais elle ne peut pas remplacer l’action politique. Les gouvernements doivent prendre les choses en main et veiller à ce que le marché mondial ne nuise pas aux petits producteurs et à ce que les grands acheteurs leur paient un prix honnête. Actuellement, les gagnants de la concurrence mondiale sont toujours ceux qui produisent au prix le plus bas. Il est, par exemple, très surprenant que les pratiques du commerce équitable, qui garantissent un prix minimal aux producteurs, ne soient pas récompensées dans la manière dont l’Union européenne fixe les tarifs . » Pour Véronique De Herde aussi, la transition doit être soutenue par les pouvoirs publics. « Il n’existe pas de stratégie unifiée au niveau européen pour revoir la politique agricole commune, en grande partie fondée sur des subsides à la superficie de production. Mais les acteurs du secteur peuvent également trouver des marges de manœuvre en s’organisant entre eux. Au final, d’ailleurs, avons-nous d’autre choix que d’être pragmatiquement optimiste pour le futur ? »
Changement de paradigme
Selon l’OCDE, l’agriculture mondiale (élevage compris) génère directement 17 % des émissions de gaz à effet de serre, auxquels s’ajoutent entre 7 et 14 % d’émissions à mettre sur le compte des changements d’affectation des terres. Le réchauffement climatique est l’impact écologique le plus direct - et le plus médiatisé – du modèle agroindustriel actuel, mais celui-ci est responsable d’un désastre écologique et humain beaucoup plus vaste : dégradation des sols, pollution de l’atmosphère et de l’eau, écroulement de la biodiversité, problèmes de santé humaine, limitation de l’accès aux terres cultivables, privatisation du vivant, exploitation de la main-d’œuvre jusqu’au cœur même de l’Europe … la liste des conséquences négatives est particulièrement longue.
Et demain ? Faudra-t-il, comme certains l’affirment, augmenter de 70 % la production agricole mondiale pour faire face à la croissance démographique, alors que les experts du GIEC préconisent avec force une réduction de 50 % des gaz à effet de serre à l’horizon 2050 ? L’équation semble impossible, à moins d’envisager un basculement complet de modèle. « Il faut toutefois garder à l’esprit que le système agricole n’est pas une île perdue, il est connecté au reste du système économique et ne pourra donc pas faire sa révolution tout seul », prévient Véronique De Herde. « Depuis un demi-siècle, l’agroindustrie et la grande distribution acquièrent un pouvoir croissant, dans un système orienté sur la surproduction et la surconsommation à bas coûts. Aujourd’hui, notre seule option est de casser ce modèle consumériste pour revenir à un schéma de production responsable et de consommation raisonnée, ce qui impose un changement de paradigme de la part de tous les acteurs. »
Placements
Nous investissons l’argent que vous nous confiez uniquement dans des entreprises qui ont un impact positif sur le plan social et écologique. Nous sommes convaincus du fait que les entreprises proposant à la société des solutions durables seront, à l’avenir, les plus performantes.
(S)’investir de façon durable ? Avec la Banque Triodos, vous allez plus loin
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